Posté le 7 octobre 2016

Je ne vous aime pas. Je ne vous ai jamais aimé. Et vous savez que je ne vous aimerai jamais.

Mais vous faites partie de moi. Vous êtes en moi. Vous me rongez de l’intérieur. Parfois même de l’extérieur.
Vous êtes imprévisibles, vicieuses et sans pitié.
Vous me faites mal et vous faites mal à ma famille, à ceux qui m’aiment.
Mais je ne me plains presque pas.
Ou alors chez moi. Eux doivent en avoir marre que je me plaigne. Mais je dois bien déverser quelque part.
Beaucoup trouve cela banal de souhaiter la santé. Pour moi c’est essentiel car de cette fameuse santé décline la terre entière.
Si tu n’as pas la santé, tu ne peux pas aimer comme tu le voudrais, tu ne peux pas toujours dépenser l’argent qu’éventuellement tu aurais (pour ceux qui penserait qu’il n’y a que l’argent qui fait le bonheur), tu ne peux pas travailler régulièrement et avoir l’ascension professionnelle que tu projetterais, tu ne peux pas voyager comme tu le rêverais. Tu ne peux pas totalement des tas de choses. Tu peux des bribes. A des instants T. Sur des périodes. Qui te semblant infinies et qui te nourrissent d’espoir mais la réalité revient et te gifle de plein fouet. Afin que tu ne les oublies pas.
J’ai toujours su que j’avais quelque chose mais je ne savais pas quoi. J’ai appris à vivre avec la douleur. Surprise quand je n’avais pas mal. Coincée du dos, scoliose, lumbago, ça fait beaucoup pour votre âge Mademoiselle V. Mais vous êtes jeune. On ne va pas faire des examens trop poussés. C’est la croissance .
Et puis il y a 10 ans cette douleur m’a paralysée. Je m’en souviens comme si c’était hier. Je ne pouvais plus rien faire. Elle me réveillait chaque nuit de ce fameux été 2006. Mes larmes coulaient du mal. Ma mère m’a emmenée ou plutôt m’a traînée vu mon état chez notre rhumato de l’époque. Un mec inutile n’ayant pas envie de se prendre la tête. Fonctionnant aux infiltrations et aux anti-inflammatoires systématiques. Veillant à ne pas trop accentuer le trou de la sécu. C’était ma première poussée de spondylarthrite ankylosante. Même ton nom est moche. Imprononçable. Et difficile à écrire en plus.
Je ne savais pas qui tu étais. Après des mois de douleurs mon ancien médecin traitant n’a rien lâché. Elle le sentait mais n’a rien dit avant d’en être sur. Et le verdict est tombé. “Vous pourrez passer suite à vos examens?”. Alors tu t’imagines les trucs les plus horribles. Car soyons claires, il y a toujours pire. C’est affreux d’ailleurs. Merci Docteur d’avoir fait le bon diagnostic.
Depuis ce sont des examens, des explorations, la perte de ton propre corps, la fatigue perpétuelle qui fait que tu es toi-même fatigante pour les autres et pour toi car tantôt dans une souffrance qui te fait péter les plombs, tantôt trop épuisée pour profiter des bons moments qui s’offrent à toi.
Les traitements ont débuté. De plus en plus lourd au fur et à mesure des mois, des années… Les crises, les poussées, les périodes de répit. Et tous ces petits maux qui font partie de ta bande, qui semblent être des détails mais qui t´enfoncent un peu plus.
Puis, spondylarthrite, tu as eu besoin d’une amie. Une garce prénommée Crohn. Elle aussi elle a un nom bien moche. C’est bizarre un H avant un N. Vous vous entendez bien. Vous êtes liées. Vous êtes deux. Et moi toute seule. Mais c’est pas grave. Crohn je te maîtrise encore à peu près. Mais je ne me la raconte pas, tu es aussi traitre que ta complice. Le pire c’est quand vous décidez toutes les deux de vous mettre en colère. Sans me prévenir. Alors que je suis sage. Posée. Que j’arrive à vous oublier quelques heures.
À vous deux vous me faites avaler 16 substances colorées chaque jour. Et vu que vous êtes généreuses, vous me faites l’immense honneur de m’inviter dans de grands hôpitaux parisiens. Où là je n’ai pas l’habitude d’être un objet de foire.
“On peut faire venir les externes, non parce que c’est rare!”. Mais je suis soignée par des bons. Et certains sont humains aussi. Des authentiques. Je ne vous apprends rien, dans la médecine, certains ont loupé le module psychologie. D’autres auraient mieux fait de le manquer, eux.
Il y a deux ans de nouvelles douleurs et un bras qui s’est mis à gonfler tout seul. Le genre de bras qui t’effraie rien qu’en le regardant. Vaudrait mieux pas que je mette une pêche à quelqu’un. Mais je sais pas faire et je n’ai pas de force. Ces douleurs aiguës, qui te coupent la respiration et t’empêchent de faire certains mouvements. Pour moi rien de nouveau c’était lié à la spondylarthrite ankylosante. Et bien non. On se devait d’honorer le “jamais 2 sans 3”. J’ai cru qu’on se fouttait de moi.
“Syndrome du défilé thoracco-bracchial”. À la tienne. Le truc qui fait que tu as mal en permanence. Que ton petit coeur ne suit plus. Opération oblige. À savoir ablation de la 1ère côte. Mais au moins j’ai appris que ma 1ère côte était là. Je les avais visiblement toujours compter dans le mauvais sens. Juin 2016. Un moment difficile. La première séparation avec Précieuse. Un hôpital Parisien loin ou je me suis sentie seule comme jamais. Et dans quelques jours la seconde opération en 4 mois avec la thrombose à rajouter au compteur. J’avais envie de crâner. C’est “in” dans la médecine d’avoir des trucs à part ou on t’opère en prenant des risques.
Moi j’ai pas eu le choix des risques. Ma vie ce sont les hôpitaux plusieurs fois par mois. Les absence au boulot, les taxis, la paperasse administrative. Et pas de rendez-vous synchronisés, non ce serait top. Je ne suis pas la seule. Il y a plein de petites annexes périphériques à ces pathologies. Elles entraînent d’autres faiblesses de santé.
J’avais besoin de parler de vous. Vous qui ne vous voyez pas. Vous qui faites que les gens ont envie de me bouffer quand je passe à une caisse prioritaire grâce à ma carte car je sens que si je reste 10 minutes de plus debout je vais m’écrouler. Pour ceux qui ne savent pas je suis cette fille qui va bien. Et le plus possible je fais en sorte d’être cette fille qui va bien, qui vit comme tout le monde.

J’aimerais vous faire disparaître mais j’ai bien compris que je pouvais uniquement vous endormir. Sur un coup de chance. J’ai choisi de bouffer la vie.
Je ne vous aimerai jamais.

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