
J’ai perdu ma plume, pour écrire un mot.
J’ai donc couché hier soir cette magnifique et douce enfant (un des deux mots n’est pas toujours valable), et je pensais qu’elle avait bien enregistré les premières paroles qu’elle devrait prononcer ce matin! Et ce fut le cas. Les premiers mots de ma fille au réveil ont été « Bonne fête Maman », et mon coeur chamallow a fondu et retenu des larmes qui auraient pu virer mes cacas d’œil.
Il est 1h41, tu es là, blottie contre moi. Ma toute petite. Toi qui aura 4 ans dans cinq dodos. Ta main est sur mon bras et je sens le souffle de ta respiration. La lumière de mon téléphone me fait te contempler et me rappelle combien tu as chamboulé ma vie. C’est fusionnel diront-ils…
Mais tu chamboules aussi mon quotidien, par tout cet amour qu’on a du mal à gérer, toi et moi, et ce depuis toujours.
On râle, on se bisouille, on joue, je te gronde… Tu ne fais rien sans moi, j’ai parfois l’impression d’être une esclave de la Grèce Antique, je manque de mon propre oxygène qui ne servirait que pour mes poumons à moi et pourtant ma patience est maîtresse d’or avec toi. C’est ce qu’on me dit. Moi je ne trouve pas. J’aurais aimé ne jamais avoir levée la voix, ne jamais t’avoir dit de paroles maladroites ou innapropriées… Mais je ne suis qu’une maman ordinaire.
Tu es une autre petite fille quand je ne suis pas là. J’avale dix fois ma salive et je serre les dents quand j’entends bien trop régulièrement que « Tout s’est bien passé jusqu’à ce que j’arrive… ».
Mais pourquoi ma fille ?
On ne va pas se cacher, on est allées consulter une pédopsy pour remettre un peu de tiers sain, pour travailler les colères, mettre des mots sur les angoisses, trouver des solutions pour le sommeil.
Et là, telle une gifle en pleine face. On me répète que tu es très intelligente (je l’ai toujours su). Que tu comprends tout (c’est mieux).
Et que je ne suis pas irresponsable dans cette relation.
7 ans sans toi. 7 ans que tu n’es plus là. Pourtant on avait déjà passé autant d’années sans être réellement là physiquement, l’un pour l’autre.
Il y a 7 ans, je me revois entre ma cuisine et mon salon, en pyjama, la main sur la porte dire à mon mari: “Je ne sais pas pourquoi je sens que mon père va mourir cette nuit”. On savait que c’était la fin. Que le crabe et tes démons antérieurs avaient gagné la course.
3h45 le téléphone a sonné. Avant même de décrocher je savais. Elle avait une voix douce, elle a été rapide mais dans la compassion. J’ai rien compris à la gifle qui venait de me frapper en plein fouet. Mon père était mort. Tout seul, en pleine nuit à l’hôpital. Les personnes en fin de vie partent souvent la nuit. Ce père dont je n’étais pas si proche, que je retrouvais lentement.
Je me suis obligée à rester la femme organisée que je suis. J’ai réservé mon billet de train, fait mon sac. Je ne me suis bien évidemment pas rendormie et je suis partie 3 heures plus tard rejoindre sa Bourgogne. Quatre jours longs, douloureux, compliqués, angoissants s’en sont suivis.
7 ans sans toi. Me vois tu? Veilles tu sur moi? As tu des regrets? Est ce que ton coeur et ton âme sont apaisés? Je l’espère Papa. Je l’espère. Cette date fait mal. Elle le fera toujours. Le temps passe. Ce temps qu’on a si peu passé ensemble. Car on ne s’est jamais vraiment compris. On était différents. On n’a pas su, pas voulu, pas pu. Les séparations sont souvent compliquées. Mon enfance et mon adolescence l’ont été et ont contribué à ce que je devienne cette femme torturée et bourrée d’inquiétudes.
10 ans sans te voir Papa c’est la décision que j’avais prise sans vraiment en faire le choix. Je ne pouvais tout simplement plus. Reprendre contact avec toi, te revoir, recréer un minimum de lien, sont les meilleures choses que j’ai entreprises dans ma vie. Oh pas seulement pour soulager ma conscience comme pourraient penser les mauvaises langues. Même si, faisons preuve d’honnêteté, ça y a contribué. Non car on a pu se dire certaines choses. Se comprendre par le regard car les mots étaient trop durs, trop forts, faisaient trop mal et il était trop tard. Notre dictionnaire n’a jamais été commun.
Je suis bouleversée de tout ce qu’on a loupé mais convaincue que rien n’aurait pu se faire. Non ce n’était pas possible. 2 mondes. Des gènes communs, les liens du sang, quelques signes physiques, quelques traits de caractère mais rien qui nous a rendu inséparables. On s’est aimés dans la douleur, dans le déchirement.